jeudi 6 juin 2013

L'orgue Raupp/Saby-Dupont du Temple d'Anduze



Présentation faite par Éric ANDANSON
à l'occasion de l'audition des organistes du CDMS34

Le Dimanche 13 juin 2010 (après la restauration de l'orgue)


Le temple d'Anduze est l'un des plus grands de France, construit entre 1820 et 1823 sur l'emplacement de la cour des Casernes. Dès l'origine, la communauté protestante compte avec le soutien d'un orgue en état de marche.
Construit à l'origine par Théodore Puget, en 1848, il comportait alors 7 jeux sur un clavier manuel et pédalier.


En 1958, il est' gravement endommagé par les inondations et Edmond Costa le restaure en 1960, le portant à 2 claviers et pédalier.
Sa composition s'établit alors ainsi:
I Grand Orgue
II Récit
Pédalier
Montre 8
Flûte 8
Soubasse
Bourdon en bois 8
Flûte 4

Prestant 4
Nazard 2 2/3

Plein jeu IV
Doublette 2


Tierce 1 3/5


Trompette 8


Puis, entre 1989 et 1992, Bernard Raupp le reconstruit. Il en étend la console, la soufflerie et le sommier, en utilisant quelques éléments de l'orgue initial. Le buffet est étoffé d'un positif de dos et mis en polychromie. Ces travaux ont été commandés par l'Association des Amis de l'Orgue du temple d'Anduze qui, depuis 1987, se charge de son entretien.
La restauration de M. Raupp a permis de réaliser un orgue "utilisé beaucoup plus largement que pour son rôle cultuel et liturgique. 
A la faveur d'un relevage réalisé par la Manufacture Pierre Saby (Saint- ­Uze, Drôme) en 2009/12010, une ré-harmonisation et une modification de la composition est faite par Jean-François Dupont.

L'instrument est doté de 19 jeux sur 2 claviers manuels et un pédalier.
1- Positif de dos
II - Grand-Orgue
Pédalier
Bourdon 8
Montre 8
Soubasse 16
Prestant 4
Flûte à cheminée 8
Principal 8
Doublette 2
Gemshorn 8
Douçaine 16
Sesquialtera II
Prestant 4

Cymbale III
Flûte 4

Régale 8
Rauschquinte Il


Mixture IV


Cornet V


Trompette 8


Claviers de 56 notes, pédalier de 30 notes. Combinaisons:
Accouplement I/ll Tirasses: I, II Tremblant: I
L'esthétique choisie pour cet instrument s'inspire des orgues construits en Allemagne du Nord, permettant de jouer dans de bonnes conditions les oeuvres de musiciens comme Buxtehude, Bach, Bruhns, etc.
Ce type d'instrument est basé sur un plenum vigoureux, qui se construit. sur les seuls principaux (sauf ici au positif puisque le jeu de base est un bourdon 8). II en résulte une sonorité claire, qui se suffit à elle-même. Rajouter des jeux ne peux "qu'empâter" le son. A la limite, on peut rajouter le gemshorn 8, mais les jeux de flûtes sont à proscrire. L'harmonie est faite dans ce sens: inutile de surcharger les registrations on ne ferait que brouiller la polyphonie et ....assourdir l'assistance ! Sur cette base, on peut colorer le plénum de'la sesquialtera II du positif, composée de tuyaux de principaux, et de la trompette 8 au grand-orgue, sombre et prompte dans la basse. Ainsi la composition idéale et la suivante:
GO : montre 8, (gemshorn 8), prestant 4, doublette 2, rauschquinte II, mixture IV, (trompette 8)
POS : bourdon 8, prestant 4, doublette 2, cymbale III, (sesquialtera li) P : Soubasse 16, principal 8, (douçaine 16)
Accouplement POS/GO, tirasse GO.
Les jeux de flûtes sont colorés, et sonnent très bien seuls ou en accompagnement. Dans l'orgue d'Anduze on peut aussi bénéficier du contraste entre le cornet flûté et chaleureux du grand-argue en dialogue avec la sesquialtera du positif. Le gemshorn 8 qui est légèrement "gambé", très suave, donne des couleurs chaudes et calmes aux autres jeux de fonds et propose une alternative intéressante aux mélanges 8-4. L'ensemble des 8 pieds des 2 claviers donne une sonorité pleine et chaleureuse
Le pédalier est constitué de ce qu'il y a de plus indispensable : une soubasse 16 profonde et à l'attaque prompte; et un principal 8 tranchant. Dans les mélanges peu fournis, ces deux jeux suffisent à assurer les basses, le recours aux tirasses devant se faire le tard possible.

Les jeux d'anches sont représentés par l'indispensable trompette 8 dont l'harmonie est typique des orgues allemands, loin de la clarté et du brillant triomphant des anches françaises. Cette trompette et faite pour sonner en solo, ou se mélanger au plénum pour le colorer, le modifier, à tel point qu'elle peut être la base de construction de ce dernier à la place des fonds. C'est un jeu traité comme le reste sans qu'il ait de prédominance ce qui fait la grande différence avec les anches françaises faites pour sonner seules (c'est-à-dire sans les fonds et les mixtures) ou par-dessus le plénum. Pour la musique française elle manque de brillant et même associée au cornet elle ne reproduit pas l'effet du grand jeu pour la littérature française. Ce mélange trouvera se place dans certaines fugues, les anches ayant par nature des grandes qualités pour faire ressortir la polyphonie.
La régale du positif à la sonorité brillante et claire est particulièrement faite pour sonner en solo, ou en coloration dans les mélanges solistes. Elle ne se lie pas particulièrement au plénum.
Enfin au pédalier une anche 16. Ici le choix d'une douçaine est particulièrement judicieux. Dans un instrument de cette taille (19 jeux) il serait dommage de mettre une posaune 16 (ou trombone) qui risquerait d'être immanquablement envahissant dans les mélanges doux. La douçaine offre la possibilité d'être utilisée sur des mélanges peu fournis sans écraser et de prendre de l'ampleur au fur et à mesure qu'on ajoute des registres, jusqu'à parfaitement soutenir le plénum augmenté de la sesquialtera et de la trompette.
En conclusion, l'orgue d'Anduze est avant tout fait pour soutenir le chant des chorals et donner la réponse à l'assemblée, par !es pages ornées des grands compositeurs qui ont pris leur inspiration de ces chorals. II en résulte de nombreuses possibilités de détails, un plénum nourrit et chantant pour "préluder' et "postluder" avec une grande variété de couleur. Malgré sa taille modeste (19 jeux), il est un très bon représentant de l'esthétique "allemande". A chaque organiste de se laisser guider par la poésie et la délicatesse de l'harmonisation.



lundi 25 février 2013

Un cri d'alarme!


Les orgues ont des ennemis !

Les orgues sont des instruments monumentaux parfois, à taille humaine des fois, mais quand même souvent imposants. Tout ce qui est imposant paraît solide, posé, rassurant, à l'épreuve du temps et des hommes. Et pourtant….. Des ennemis sont là qui les mettent à mal, leur causent des soucis, occasionnent des dysfonctionnements, les font vieillir prématurément. Ces ennemis sont les vers à bois, les changements d'hydrométrie, la négligence dans l'entretien, les rats de tribunes….et les organistes !!!

Je vais illustrer mon propos par une petite anecdote.

Un vendredi après-midi, par un beau soleil de printemps languedocien, à la demande d'une organiste pédagogue, je me rendis dans une petite église où se trouve un petit orgue tout à fait bien construit, aux timbres, sinon poétiques, au moins agréables. Ce petit instrument souffrait d'un problème sur son troisième clavier. Lorsqu'on enfonçait le 1er do ou le 1er mi de ce clavier, un horrible entraînement faisait que les deux notes parlaient ensembles, rendant l'utilisation bien difficile et réduisait ses possibilités musicales de moitié.




Armé de mes outils, d'une lampe baladeuse, je commençais mon occultation. Rien ne semblait être déréglé, tout était en place !!! Mais pourquoi ce problème ? En regardant de près je vis que la barre de clavier (qui sert à maintenir les touches à bonne hauteur et bien alignées) bougeait lorsqu'on jouait ces deux notes. Je regarde d'encore plus près, et là ! Lumière ! Je poussai un cri qui effraya l'organiste pédagogue, un organiste ami qui était là aussi et un cameraman qui m'accompagnait. 



















Sournoisement glissés sous la barre de clavier je vis dans l'ordre : une épingle à nourrice, un trombone (pas à coulisse, je précise quand même) et une gomme de stylo. En pestant tout ce que je savais je retirais ces corps étrangers et hop le petit orgue se remit à jouer et l'organiste pu le faire chanter sans souci.




Ceci se solde par une réparation de quelques minutes, mais il n'en est pas toujours ainsi ! Imaginons qu'il ait fallu faire venir un facteur d'orgues d'une ville voisine, pour un tel dépannage. Entre le déplacement, le taux horaire (je fais grâce du mécontentement dudit facteur) on arrive à une facture d'au moins 150 € !!! ça fait cher le paquet de trombones ou d'épingles à nourrice et sans compter que les organistes pédagogues passent pour des "dilettantes" et se couvrent de honte.

Moralité :

Chers amis organistes, sachez que lorsque vous arrivez à une tribune, il est de bon aloi de faire attention un minimum. On enlève les trombones hors de la console, on prend des gommes de taille respectable etc…. un tel incident peut parfois occasionner des dégâts beaucoup plus graves nécessitant le démontage d'une partie de la mécanique pour accéder à un objet indésirable. J'ai déjà vu un crayon tomber dans les contre-touches d'un pédalier : 4 heures de travail et comme par hasard, aucun des organistes n'avaient souvenir d'avoir fait tomber son crayon. On a su qui s'était, son nom était gravé dessus !!!

Les orgues sont des instruments fragiles, comme tous les instruments, que les paroisses mettent à notre disposition. C'est ce genre d'incident qui peut faire boucler une tribune et rendre l'instrument inaccessible.

La prochaine fois je parlerai des organistes qui jouent avec des chaussures pleines de boue, qui laissent les boîtes expressives fermées, des jeux tirés, des combinaisons enclenchées, collent des chewing gum sous les claviers, et de nos amis les post-it….. (voilà, voilà, voilà !)

Eric.

Jeu concours
Le premier qui donnera le nom de l'église où se trouve le petit orgue en question gagnera un truc 

mercredi 20 février 2013

Présentation de l'orgue de la Cathédrale de Nîmes (Gard)


Centre Diocésain de Musique Sacrée de Montpellier
Cathédrale de Nîmes
Présentation de l'orgue Alfred Kern
1982
Éric Andanson (Décembre 2010)

1 – Introduction sommaire à l'orgue néo-classique
2 – L'orgue de la cathédrale de Nîmes
3 – Alfred Kern

1 – L'orgue néo-classique :

         Mon propos se bornera à une introduction sommaire, donc très réductrice de  l'orgue néo-classique en France. Je ferai volontairement l'impasse sur l'influence des facteurs du Nord (Flentrop, Marcussen, Beckerath…) et l'harmonie "en plein-vent" qui suscita beaucoup d'intérêt chez les facteurs français et notamment Curt Schwenkedel. De même je ne ferai pas allusion à l'orgue néo-baroque, branche du mouvement néo-classique qui s'attachera à construire des instruments spécifiques pour la musique de Bach et de ses maîtres (Saint Donat dans la Drôme en est un exemple des plus significatifs)

            A la fin du XIXème siècle et jusque vers les années 1930, l'orgue est devenu "symphonique", c'est-à-dire qu'il a suivi l'évolution de l'orchestre et des compositions musicales de son temps : Brahms, Mahler, Debussy, Ravel, R. Strauss…. La conséquence est que ces instruments étaient souvent dépourvus de mixtures, de jeux de mutations (les seuls survivants seront le cornet et parfois le nazard ou la quinte), largement pourvus en jeux de 8 pieds et notamment de la famille des gambes. Les anches se font aussi plus orchestrales et rondes, etc… Le résultat sonore est sombre, avec une pâte sonore ample et tout à fait exceptionnelle quand c'est réussi. Seulement tout le monde ne s'appelle pas Cavaillé-Coll, Merklin, Eugène Puget ou Debierre pour ne citer que les meilleurs facteurs de cette période.

            Les musiques du temps passé ne sont guère en vogue au début de ce XXème siècle et malgré le travail considérable d'Alexandre Guilmant (entre autres) qui publia et annota tout un pan de la musique baroque française, il faudra attendre quasiment l'après-guerre 39-45, pour une prise de conscience du patrimoine ancien et que les leçons du facteur Victor Gonzalez soient prises en compte. Les orgues anciens qui n'avaient pas été "modernisés", ne le devaient qu'à la rare clairvoyance de leur titulaire ou la pauvreté de moyens des paroisses (Saint Pierre de Poitiers, Saint Maximin en Provence, Souvigny, Malaucène, Saint Pons de Thomières…). Le mouvement néo-classique avait timidement fait son apparition à la fin des années 30 avec le facteur Victor Gonzalez (1877-1956) formé chez Cavaillé-Coll auprès notamment des frères Reinburg et de Ferdinand Prince, les meilleurs harmonistes de la manufacture. Avec le musicologue Norbert Dufourcq (1904-1990), il entreprit de redonner à l'orgue des jeux de l'époque classique. Aujourd'hui on est "choqué" par la façon dont il aborda la restauration des orgues anciens (Saint Nicolas des Champs à Paris, Cathédrale de Reims…) Mais il faut bien considérer que la notion de restauration à l'identique ou même seulement dans le style était encore largement une vue de l'esprit et Victor Gonzalez fut un des plus respectueux de son temps. Il faut replacer les choses dans leur contexte et se garder de juger trop vite, nous ne savons pas ce que les générations futures penseront du legs qui sera le nôtre. On avait l'habitude de moderniser (et sans se priver, de modifier…) ou plus souvent de reconstruire carrément.
            La redécouverte de la musique ancienne française ou allemande (Bach en particulier) ne faisait pas, pour autant, renoncer au répertoire romantique ou symphonique. Donc l'idée maîtresse du mouvement néo-classique était  de faire des "orgues à tout jouer". Les organistes voulaient au cours du même concert jouer des pièces allant de Titelouze à Messiaen, en passant par Bach, Couperin, de Grigny, Franck et Tournemire. Cette conception, aussi louable soit-elle, n'en n'est pas moins chimérique. Le résultat, à quelques exceptions près dont nous parlerons plus loin, fut la création d'orgues hybrides, aux mixtures aiguës, sinon suraiguës, aux anches claires, voire faméliques, et la modernisation de grands instruments romantiques aboutit, dans 80 % des cas, à des massacres organisés, confiés à des harmonistes peu compétents et aux lubies de quelques organistes du même niveau et aux oreilles manifestement ensablées ! Pourtant lorsque les moyens intellectuels, musicaux et techniques seront réunis on pourra voir naître de  véritables (mais trop rares) chefs d'œuvres. J'ai bien dit ne pas juger, mais constater que la qualité du travail est mauvaise est une autre chose… Certains des décideurs de ces travaux renieront plus tard leur implication dans ces transformations, laissant le facteur d'orgues seul porter la responsabilité de leurs erreurs.

            L'idée la plus souvent répandue était de penser qu'il suffisait de mettre des jeux classiques (mixtures, tierce, sesquialtera…) dans un orgue romantique pour pouvoir jouer Couperin ou Bach, ou de rajouter un récit romantique (souvent disproportionné) à un orgue baroque pour jouer toute la musique pour orgue. Seulement les rapports de tailles, l'harmonie des jeux ajoutés n'avaient souvent rien à voir avec la base sonore de l'instrument : les mixtures criaient, les mutations "crachotaient", les anches sonnaient le canard, les tutti ne valaient que par l'agressivité des mixtures et n'avaient aucun corps ou les jeux romantiques trop typés écrasaient la base classique.  Bref les jeux ne se mélangeaient pas et le résultat était qu'en fait d'orgue à tout jouer, on se retrouvait avec un orgue à rien jouer ! Un grand organiste français disait des orgues néo-classiques "ces instruments on une tête, des pieds, mais pas de ventre !". Les orgues romantiques ont vu leurs jeux de 8 pieds réduits pour laisser la place à des registres de mixtures (cymbale, plein-jeu, sesquialtera…) de mutations (nazard, tierce, larigot, piccolo…). Au final, le chœur des fonds s'en trouve déséquilibré, l'harmoniste ayant fait en fonction du nombre élevé de 8 pieds pour équilibrer l'harmonie. Par exemple lorsque le clavier de grand-orgue comportait montre, salicional, flûte harmonique et bourdon 8, le fait de supprimer le salicional et la flûte harmonique avait pour conséquence de passer d'une montre puissante et riche en harmoniques à un bourdon doux et rond. Entre les deux il n'y a plus rien. Et les exemples sont légions. On peut citer par exemple l'orgue de Sainte Eulalie à Montpellier :

Grand-orgue Merklin 1868
Après remaniement par Y. Cabourdin 1977
Bourdon 16
Bourdon 16
Montre 8
Montre 8
Salicional 8
Doublette 2
Flûte harmonique 8
Sesquialtera II
Bourdon 8
Bourdon 8
Prestant 4
Prestant 4
Fourniture IV (en 16)
Fourniture IV (en 8)
Trompette 8
Trompette 8
Clairon 4
Clairon 4
Cor de nuit 8
Principal 8
Viole de gambe 8
Prestant 4
Voix céleste 8
Unda maris 8
Flûte harmonique 4
Flûte harmonique 4
Basson-hautbois 8
Doublette 2
Plein-jeu II
Voix humaine 8
Basson-hautbois 8
Soubasse 16
Soubasse 16
Basse 8
Basse 8
Trombone 16
Trombone 16

            Comme on le voit, l'ordonnancement d'origine est complètement modifié, et encore que, faute de moyens, le basson-hautbois n'a pas été remplacé par un cromorne comme initialement prévu. Du coup la musique de Bach ne sonne pas mieux pour autant et la musique romantique se trouve "amputée" d'une grande partie de ses couleurs.

            Dans les orgues classiques, la modification se "limitait" à l'ajout d'un grand récit expressif (qui imposait d'éventrer le buffet à l'arrière le plus souvent pour pouvoir le loger) et d'un pédalier moderne de 30 notes (avec les compléments de jeux en 16 notamment). Là encore le mariage n'a pas toujours été très heureux. Il va sans dire que la mécanique, quand elle survivait à cet autodafé, était elle aussi profondément remaniée, quitte à ce que les aplombs des claviers et des abrégés ne soient plus corrects, donnant des touchers durs et peu précis. Mais là on avait un peu d'avance sur les conséquences, puisque les facteurs du XIXème avaient pratiqué de telles modifications.

            Dans le cadre de la construction strictement neuve ou quasiment, les choses se sont mieux passées puisque toute la conception était "cohérente". Certes il faut faire abstraction des orgues classiques ou romantique irrémédiablement perdus par des reconstructions trop radicales. Ces orgues neufs sont intéressants à plus d'un titre, car c'est eux qui amèneront une réflexion plus sage des facteurs d'orgues et permettront la création d'instruments aboutis. De nombreux orgues des années 60-70, qui ont été restaurés ces dernières années, ont bénéficié du recul nécessaire pour en faire des instruments intéressants, plus cohérents et sans pour autant en changer la composition, en  redonnant un équilibre aux plans sonores. Pour faire brusque, ces orgues ont été "achevés".

            De cette époque (en gros de 1960 à 1990 pour faire large et très schématique) sont nés des instruments tout à fait aboutis aux possibilités larges, mais qui ont un style finalement bien à eux. Ce ne sont pas des orgues à tout jouer, parce qu'il y a toujours des déséquilibres qui font qu'on est coincé dans tel ou tel répertoire, sauf dans le cas d'orgues conséquents (Saint Etienne du Mont, Saint Eustache à Paris, Cathédrales de Nantes, Angoulême, Beauvais, qui comportent entre 70 et 100 jeux). En effet pour aborder un répertoire quasi exhaustif, il faut certes des tierces, nazards, larigots, des mixtures, cromorne, trompettes, etc mais aussi des flûtes harmoniques, des gambes, des anches spécifiques à la musique romantique…. Donc tout est affaire de compromis. Une tierce française n'est pas une tierce allemande, une fourniture "à la Dom Bedos" n'est pas une mixture "à la Silbermann" ou "à la Schnitger" etc… les anches françaises sont loin des anches allemandes ou italiennes…. Et même en restant dans un nationaliste bon teint, les anches de Robert Clicquot n'ont rien à voir avec celles de François-Henri, et pourtant on reste au XVIIIème.

            Face aux possibilités évidentes et larges des orgues néo-classiques, les grands organistes et compositeurs (Dupré, Duruflé, Messiaen, J. Alain…) se sont littéralement appropriés ces instruments et ont écrit une œuvre qui réclame une palette large, aux coloris multiples, capable de douceur, de subtilité, et de puissance. C'est pour ce type d'orgues que leur musique est faite. A défaut on jouera leurs œuvres sur un orgue symphonique (Messiaen sur un Clicquot, c'est risqué à beaucoup de points de vues). Ils ont même participé activement à la création d'un univers sonore qui leur est spécifique. Jouer Messiaen sur l'orgue Danion de la cathédrale de Beauvais (1979) est un bonheur, toutes les couleurs, subtilités demandées par l'auteur s'y trouvent réunies.

            Volontairement, Je ne parlerai pas de toutes les innovations technologiques de cette période (transmissions électriques, électro-pneumatiques, combinateurs, tirasses et accouplements en octaves….).

            Les grands représentants de cette esthétique sont les facteurs Danion, Haerpfer, Beuchet-Debierrre, la manufacture Michel-Merklin & Kuhn, Rœthinger, Muhleisen, Schwenkedel et Kern pour ne citer que les plus significatifs.

            Aujourd'hui c'est une période de la facture très décriée, pour les raisons que j'ai évoquées plus haut, mais aussi en raison des avancées de la prise de conscience de la richesse du patrimoine ancien et de sa conservation. On a perdu des orgues qui nous étaient parvenus dans leur style en voulant les moderniser. Ainsi le grand-orgue de la cathédrale du Mans (Jean de Joyeuse – XVIIème siècle) a été électrifié, l'orgue Cavaillé-Coll de Saint Léon de Nancy totalement remanié (tous les sommiers ont été reconstruits, la mécanique de Cavaillé-Coll remplacée par une mécanique "à rubans", et la tuyauterie réharmonisée) et les exemples ont nombreux. La restauration des orgues anciens dans leur style, a fait connaître de façon approfondie les techniques, les spécificités des orgues baroques ou classiques, mais a aussi amené une réflexion sur les orgues romantiques, premières victimes du mouvement néo-classique et ce, dans un passé encore très proche.

            Ces facteurs ont ouvert un champ large vers ce qui est aujourd'hui l'orgue néo-classique abouti avec les constructions d'un Pascal Quoirin, Michel Gaillard, Jean Daldosso et bien sûr les maisons Kern et Muhleisen qui perpétuent la tradition et la qualité des constructions initiées par leur aînés.

            De ce mouvement, et comme toujours dans les arts, sont nés des courants différents de la facture d'orgues, certains se lançant corps et âme dans des constructions à la façon de… utilisant les techniques anciennes, d'autres au contraire iront encore plus loin dans la "création contemporaine".          


Dans le cadre de certaines restaurations on tombe aujourd'hui dans un fondamentalisme et un retour aux sources strict. Cette vision n'est pas non plus (et ça n'engage que moi) un bon parti. Si l'orgue est radicalement dans son état d'origine, il faut bien sûr le préserver, mais s'il a subi des modifications et qu'il faille reconstruire toute où partie des sommiers et de la mécanique, il serait intéressant de maintenir des claviers complets, un pédalier aux normes modernes etc. La musique de César Franck sur un Daublaine & Callinet avec un récit complet est un pur bonheur. Si on revient au récit court, c'est "foutu"….. Les puristes pourront toujours se limiter aux possibilités originelles. Le tout étant que les travaux soient menées avec prudence et compétence tant de la part des experts, des organistes et des facteurs d'orgues.

            Au final peu importe les techniques utilisées, les partis pris (il faut toujours faire un choix) l'essentiel est que les instruments construits aujourd'hui soient cohérents, agréables à jouer, à voir et qu'ils fonctionnent (ça semble le B-A BA, et pourtant…)


Compositions d'un orgue néo-classique type :

I – Positif de dos
II – Grand-Orgue
III – Récit expressif
Pédalier
Bourdon 8
Bourdon 16
Cor de nuit 8
Flûte 16
Montre 4
Montre 8
Salicional 8
Soubasse 16
Flûte à cheminée 4
Flûte à cheminée 8
Unda maris 8
Flûte 8
Nazard 2 2/3
Prestant 4
Flûte 4
Bourdon 8
Doublette 2
Flûte 4
Flûte 2
Flûte 4
Tierce 1 3/5
Doublette 2
Sesquialtera II
Bombarde 16
Larigot 1 1/3
Fourniture IV
Trompette 8
Trompette 8
Cymbale III
Cymbale III
Hautbois 8
Clairon 4
Cromorne 8
Cornet V
Voix humaine 8


Trompette 8



Clairon 4



I – Grand-Orgue
II – Récit expressif
Pédalier
Bourdon 16
Cor de nuit 8
Soubasse 16
Montre 8
Salicional 8
Flûte 8
Flûte à cheminée 8
Unda maris 8
Flûte 4
Prestant 4
Flûte 4
Bombarde 16
Flûte 4
Flûte 2

Nazard 2 2/3
Plein-jeu IV

Doublette 2
Trompette 8

Tierce 1 3/5
Hautbois 8

Fourniture V
Clairon 4

Cornet V


Cromorne 8




I – Grand-Orgue
II – Récit expressif
pédalier
Bourdon 16
Bourdon 8
Soubasse 16
Montre 8
Salicional 8
Flûte  8
Flûte à cheminée 8
Unda maris 8
Flûte 4
Prestant 4
Flûte 4
Bombarde 16
Flûte 4
Nazard 2 2/3
Trompette 8
Doublette 2
Quarte 2

Plein-jeu V
Tierce 1 3/5

Cornet V
Piccolo 1

Trompette 8
Hautbois 8

Clairon 4
Cromorne 8


2 – l'orgue de la cathédrale de Nîmes :

1652 : construction par les Frères Eustache
1706 : travaux par Charles Boisselin
1752 : restauration par Jean-Esprit Isnard
1808 : Dominique Cavaillé-Coll (?)
1833 : relevage par Martin Cavaillé-Coll
1823 : Dominique, Vincent et Aristide Cavaillé-Coll
1845 : reconstruction par Daublaine et Callinet (suppression du positif de dos)
1863 : restauration par Théodore Puget
1896 : reconstruction par Charles Michel-Merklin le gendre de J. Merklin en charge de l'atelier de Lyon)
1932 : restauration par Maurice Puget
1967 : dépoussiérage par Léopold et Yves Trosseille aidés d'une équipe de bénévoles.
1974-1982 : reconstruction par Alfred Kern avec reconstitution du positif de dos

Composition sonore :

I – Positif de dos
II – Grand-orgue
III – Echo-Bombarde
IV – Récit
Bourdon 8
Bourdon 16
Quintaton 16
Flûte 8
Montre 4
Montre 8
Flûte 8
Cornet V
Nazard 2 2/3
Bourdon 8
Salicional 8
Hautbois 8
Doublette 2
Prestant 4
Unda maris 8
Chamade 8
Tierce 1 3/5
Flûte 4
Principal 4

Larigot 1 1/3
Grande tierce 3 1/5
Flûte conique 4
Pédalier
Plein-jeu IV-VI
Nazard 2 2/3
Octave 2
Principal 16
Cromorne 8
Doublette 2
Fourniture IV
Soubasse 16

Tierce 1 3/5
Sesquialtera II
Principal 8

Fourniture en 16 II
Bombarde 8-16
Flûte 8

Fourniture II-IV
Trompette 8
Octave 4

Cymbale IV
Clairon 4
Cor de nuit 2

Trompette 8

Mixture IV

Voix humaine 8

Bombarde 16

Clairon 4

Trompette 8



Clairon 4

Claviers manuels de 56 notes pour I, II, III et 32 notes pour IV
Pédalier de 30 notes

Tirasses : I, II, III
Copulae : I/II, III/II, IV/II
Appel mixtures II.                                        
Appels anches : II, III, P.                        
Tremblants : I, II,
Expression écho-bombarde.


            Comme on peut le voir, l'orgue de la cathédrale de Nîmes est composé de "couches" successives et l'instrument actuel comporte des jeux, des tuyaux qui vont du XVIIème au XXème siècle. L'intérêt qu'il présente aujourd'hui est la démonstration qu'un harmoniste doué est à même de faire un orgue homogène, parfaitement cohérent. C'est l'expression des qualités de concepteur d'Alfred Kern. Les lignes directrices qui l'on guidé sont les suivantes :
            - un clavier de positif et de grand-orgue tout a fait classique,
            - un écho-bombarde  expressif qui reprend le fond romantique de l'orgue et complète les 2 claviers principaux,
            - un récit classique proche de celui pensé par Eustache et Isnard,
            - un grand pédalier très complet et autonome.

            La mécanique est de conception totalement neuve, ce qui donne une logique et une implantation des sommiers claires et donc un entretien aisé.
            Les sommiers anciens qui étaient de bonne facture ont été conservés, des sommiers ont été construits (notamment au positif et récit) selon des principes classiques et éprouvés. La soufflerie reprend les grands soufflets du XIXème et assurent un vent en quantité suffisante.
           
Le clavier d'écho-bombarde : il est intéressant de s'attarder un peu sur ce plan sonore qui est l'originalité de cet orgue. Alfred Kern a pensé cet ensemble pour ouvrir l'orgue sur le répertoire romantique et contemporain sans nuire à l'ensemble classique du grand-orgue et du positif. On y trouve une base en 16 (quintaton et bombarde), des 8 nombreux dont le salicional et l'unda maris. Ces deux registres permettent une approche correcte de la musique de Franck ou Vierne, et viennent nourrir les fonds de 8 du grand clavier. Un plénum en 8, complété de la sesquialtera (jeu qu'Alfred Kern réussissait tout particulièrement) qui donne une couleur "germanique" et se montre à propos dans des compositions contemporaines. L'implantation de la vaste boîte expressive à l'arrière du buffet lui confère ce côté "écho" et si, à la console il peut sembler discret, dans la nef de la cathédrale il est très présent et la performance des jalousies permet des nuances très efficaces. La batterie d'anches, bien que plus sombre que celle du grand orgue, apporte un complément remarquable dans le grand-jeu à la française. Enfin dans un tutti indispensable à la musique romantique, ce plan apporte une puissante considérable.
            C'est ainsi que l'orgue de la cathédrale de Nîmes peut être considéré comme un orgue néo-classique abouti. Certes il a ses limites, mais comme tout instrument, c'est aux organistes de trouver les ressources et le répertoire qui sera le plus adéquat.

3/ Alfred Kern (1910-1989)

            Alfred Kern a été formé au sein des ateliers de la maison Rœthinger à Strasbourg. Cette manufacture fondée à la fin du XIXème a été une "pépinière" de facteurs tout à fait remarquable comme Schwenkedel ou Muhleisen et bien sûr Alfred Kern. Au sein de cette manufacture, il apprend son métier d'harmoniste, mais il participe aussi à la conception des instruments. Il côtoiera tous types de transmissions ce qui lui sera d'une grande utilité dans sa carrière et l'approche des orgues qu'il restaurera. Il s'installe à son compte en 1953, après une période de collaboration avec son beau-frère Ernest Muhleisen. Il reçu les encouragements d’Albert Schweitzer dans son opiniâtreté à imposer en quelque sorte un retour à la traction mécanique. Très tôt il fut reconnu comme un connaisseur avisé de la facture classique grâce à des restaurations remarquables d'orgues de Silbermann et des Callinet. Ces travaux lui permirent d'appréhender la facture de ces grands maîtres et sans pour autant les pasticher, il s'inspira largement, avec humilité, des leçons du passé. Outre des restaurations de premiers plans, il fut un créateur, voire un re-créateur d'instruments qui restent aujourd'hui encore des références. Il saura mieux que beaucoup d'autres, créer des orgues de synthèse "germano-française", exercice difficile s'il en est.

            Les grandes caractéristiques des orgues d'Alfred peuvent se résumer ainsi :
            - des fonds généreux mais toujours très typés et colorés,
            - des mixtures claires, vives, jamais agressives,
            - des anches promptes et équilibrées,
            - des mécaniques fiables et saines, au toucher précis,
            - un équilibre des plans sonores toujours en adéquation avec l'acoustique du lieu.


            Ses réalisations les plus remarquables, tant en restaurations qu'en instruments neufs, sont les suivantes :
A Paris : Saint Séverin, Notre Dame des Blancs Manteaux, Saint Jacques du Haut Pas, Notre Dame des Victoires.
Coutances : Cathédrale
Bourges : Cathédrale
Strasbourg : Cathédrale, Saint Thomas
Évreux : Saint Taurin
Nice : église réformée
Masevaux : église paroissiale
Ribeauvillé : église saint Grégoire
Toulouse : cathédrale Saint Etienne
Aurillac : Abbatiale Saint Géraud
Thionville : église Saint Maximin
Bâle : église Saint Théodore
Mulhouse : temple Saint Jean
Sélestat : Notre Dame de la Paix

Aujourd'hui la manufacture poursuit l'œuvre d'Alfred sous la direction de son fils Daniel, et dans les réalisations faites sous sa responsabilité on peut citer :
Tours : cathédrale Saint Gatien
Aix en Provence : chapelle des chevaliers de Malte
Obernai : église des Saints Pierre et Paul
Bayonne : église Saint Martin
Saint Petersburg : salle de concert du théâtre Mariinski

            La manufacture a maintenu un niveau d'excellence qui lui a permis d'être choisie pour la reconstruction de l'orgue de la Frauenkirche de Dresde en 2005. Ce choix s'est fait après un concours international, face à des concurrents de tout premier ordre.



Pour plus de d'informations :

Sur le grand orgue de la cathédrale de Nîmes :
La monographie de Roland Galtier : le grand-orgue de la cathédrale de Nîmes aux éditions du Bérange
L'enregistrement de l'œuvre de Jehan Alain par Jacques Bétoulières (édition Coriolan)
Sur la manufacture Kern
http://www.kernpipeorgan.com/